Grâce
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La grâce - Péché/Grâce/Salut
Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : "Père donne-moi la part de bien qui doit me revenir." Et le père leur partagea son avoir. Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout rassemblé, partit pour un pays lointain et il y dilapida son bien dans une vie en désordre. Quand il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans l'indigence. Il alla se mettre au service d'un des citoyens de ce pays qui l'envoya dans ses champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre des gousses que mangeaient les porcs mais personne ne lui en donnait. Il se mit à réfléchir sur sa situation et se dit : "Combien d'ouvriers de mon père ont du pain en abondance, tandis que moi, ici, je meurs de faim! Je vais aller vers mon père et je lui dirai : Père, j'ai péché envers le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d'être appelé ton fils. Traite-moi comme un de tes ouvriers." Comme il était encore loin, son père l'aperçut et fut pris de pitié : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : "Père, j'ai péché envers le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d'être appelé ton fils..." Mais le père dit à ses serviteurs : "Vite, apportez le plus bel habit et revêtez-le; mettez-lui un anneau au doigt, des chaussures aux pieds. Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons car mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé".
Cette histoire simple et concrète, une parabole racontée par Jésus (Luc 15, 11-24), explique mieux que tout discours ce que l’Évangile entend par "péché", "grâce" et "salut".
Le péché : vouloir être son propre dieu
Le péché décrit la réalité de l'être humain persuadé de pouvoir maîtriser sa vie tout seul, sans Dieu et sans les autres.
L'attitude du jeune homme est significative : "Donne-moi ce qui est à moi! Je n'ai plus besoin de toi! Je vais me réaliser moi-même et moi seul." L'histoire de la chute d'Adam et d'Eve est analogue. Elle est caractérisée par l'illusion perfide suggérée par le serpent : "vous serez comme des dieux" (Genèse 3,5), maîtres de votre existence.
La vie dissolue, les actes moralement condamnables du jeune homme ne sont que les conséquences de son choix fondamental, de sa recherche égoïste du pouvoir pour lui-même, de son "auto-réalisation". Son seul critère de vie est sa personne.
Le péché entraîne les péchés. Ceux-ci ne sont pas seulement des actes ponctuels que la morale réprouve mais aussi des attitudes non directement condamnées par la loi mais qui n'en sont pas moins sournoises et répréhensibles, tels l'égocentrisme et l'indifférence. A quoi bon entretenir des relations avec les autres ? Tout ce qui n'est pas directement lié à moi et à ma recherche de pouvoir ne me concerne pas et ne mène à rien. La conséquence de cette attitude est une rupture progressive de toute relation avec les autres et avec Dieu. Les autres qui ne m'intéressent pas, finissent par ne plus s'intéresser à moi.
L'aboutissement est la solitude, l'isolement et la mort. Cette dernière est absence totale de relation, aboutissement logique et inévitable du péché (dans la parabole le père dit de son fils qu"'il était mort"; cf. aussi Romains 6,23). Le désintérêt pour l'autre, la mort sociale, trouvera sa dernière expression dans la mort physique. Dans la mort je suis seul, définitivement seul n'aimant personne et n'étant plus aimé, situation infernale au sens propre du terme. Le péché est ce long processus dont l'origine est le désir d'être maître de toute chose. Une spirale dans laquelle nous nous sommes engagés, à laquelle nous ne pouvons plus échapper et qui mène à la mort.
La réponse de Dieu
Par amour pour les humains, Dieu a décidé de mettre un terme à cette spirale infernale. Il fallait que Dieu lui-même s'engage et mette un terme à cette situation qu'aucun humain ne peut maîtriser. Dans la croix du Vendredi Saint il a décidé d'affronter notre pire ennemi, la mort. "Jésus Christ s'est livré pour nos péchés afin de nous arracher à ce monde du mal" (Galates 1,4). Vrai Dieu et vrai homme, il entre dans la situation d'abandon total, dans le désespoir dernier qui était jusque là notre seul sort. Il accepte la mort, l'affronte et la subit. Plus encore, il la combat et l'anéantit. Le matin de Pâques proclame la victoire : Jésus Christ a vaincu la mort. La mort est morte. La vie n'est plus limitée par la mort, la mort est à présent limitée par la vie. A l'absence totale de relation qu'engendre le péché, succède une création nouvelle dont Christ est le premier-né. La mort n'est plus car elle n'est plus définitivement mortelle. Avec Jésus toute situation de péché et de mort peut être arrêtée et annulée au profit d'une vie nouvelle. La croix, à l'origine lieu de mort, devient symbole de victoire et d'espérance. La mort devient objet de railleries : "la mort a été engloutie dans la victoire. Mort où est ta victoire? Mort où est ton aiguillon?" (1 Corinthiens 15, 54s.).
Retrouvés et libres
Dans la parabole le père se met en route, il va à la rencontre de son fils qui a très bien compris qu'en fait il ne méritait plus d'être fils. La catégorie du mérite n'a cependant ici aucun sens. Ce qui est totalement inconséquent mais relève de l'évidence de l'amour advient : le père accueille son fils repentant, il fait organiser une grande fête et lui offre une vie nouvelle. "Le fils qui était mort est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé".
La notion - clé de cette situation nouvelle est la gratuité, la grâce. Le fils ne peut rien revendiquer, pourtant il obtient tout. Après avoir connu l'illusion de la liberté, il est à présent vraiment libre, l'enfant aimé de son père.
L'Évangile est l'histoire de cette libération. Nous n'avons rien à revendiquer, nous avons tout reçu : nous sommes enfants de Dieu. La situation nouvelle créée par le Vendredi Saint et par Pâques nous est offerte. Dieu nous propose de participer à sa vie, d'entrer dans cette nouvelle relation qui n'est plus limitée par la mort.
Dieu nous déclare et nous rend justes (la justification cf. Romains 3, 21-28). Nous avons la certitude que ce n'est pas la mort mais Dieu seul qui limite notre vie. Là où notre existence sombre dans le non-sens et la mort, il a fait le premier pas. Il nous accueille et nous invite à une vie nouvelle aujourd'hui dans ce monde et demain dans son royaume.
Nous ne somme plus condamnés à devoir nous réaliser nous-mêmes. Nous sommes réalisés. Nous avons une identité nouvelle, celle de l'enfant. Nous avons le droit d'être, de vivre sans passer nos journées à courir après une hypothétique "réussite" qui ne sera jamais.
L'Évangile est retournement de nos réalités quotidiennes, l'impossible est possible. Notre vie n'est pas le fruit de nos mérites mais le don gratuit de Dieu qui nous propose une identité nouvelle et ne nous demande rien d'autre que d'accepter son amour, le salut.
Faire ce que nous sommes
Cette nouvelle relation avec Dieu a pour conséquence une nouvelle relation avec les autres. Nous sommes là aussi libres du péché. Nous découvrons que nous vivons par (et pour) les autres. C'est bien plus qu'un simple apprentissage des bonnes manières.
Dans notre histoire, le jeune homme a découvert qu'il n'était pas enfant de son Père à cause de ce qu'il a fait. Mais il a pu avoir une attitude nouvelle parce qu'il est enfant de son Père. La relation avec le Père détermine sa vie quotidienne.
La relation avec Dieu et avec les autres donne sens à nos actes. Notre vie n'est pas l'addition de nos œuvres et de nos "auto-réalisations". Elle est constituée par ces moments où nous sommes réalisés, où nous aimons et sommes aimés, où nous connaissons liberté, joie, espérance et paix dans nos liens aux autres et à Dieu. La vie vaut la peine d'être vécue. Nous nous engageons sans retenue pour que ce monde devienne plus humain, plus conforme à la volonté de Dieu. Libres du péché et de nous-mêmes, nous sommes invités à vivre.
Dans une société qui vit du principe : "Je suis ce que je fais", nous proclamons que "nous faisons ce que nous sommes". Cette situation n'est pas facile, elle n'est souvent pas comprise. Nous n'avons rien à perdre, notre identité d'enfants nous est définitivement acquise. Le jeune homme de l'histoire vit de la certitude que la main de son père ne le lâchera plus, même s'il doit toujours à nouveau la saisir. Comme lui nous vivons de la croix et de la résurrection du Christ, de l'amour gratuit de Dieu qui fait toutes choses nouvelles (2 Corinthiens 5, 14-21).
Ce texte a été rédigé par A. Birmelé. ll a été édité par la Commission de formation biblique et théologique de l'Eglise de la Confession d Augsbourg et de l'Eglise Reformée d'Alsace et de Lorraine.